Artiste célébrée de son vivant, et pourtant méconnue aujourd’hui, Chana Orloff vient de faire l’objet d’une première exposition monographique au musée Zadkine, qui a accueilli plus de 60 000 visiteurs. À son tour, notre atelier célèbre le travail de cette grande figure féminine du Montparnasse des Années folles, avec le moulage, Maternité 1914, représentative de son œuvre et de sa personnalité.
Notre équipe a rencontré la petite-fille de la sculptrice, Ariane Tamir, dans l’atelier-musée qu’elle et ses frères administrent aujourd’hui à Paris.
Niché dans le quartier Montparnasse, l’atelier Chana-Orloff offre une plongée fascinante dans l’univers de cette sculptrice d’avant-garde. « Cette maison a été conçue par l’architecte Auguste Perret en 1926, à la demande de ma grand-mère, confie Ariane Tamir. Elle avait fait auparavant son portrait sculpté et, à son tour, elle lui a demandé de concevoir un bâtiment fonctionnel associant résidence et atelier. J’ai grandi dans cette maison, au second étage, dans l’appartement qu’elle avait laissé à mon père, tandis qu’elle habitait dans la maison mitoyenne. Enfants, mes frères et moi n’osions pas descendre à l’atelier pour voir les objets qu’elle créait. Elle nous impressionnait beaucoup. Mais dès qu’elle partait, nous nous introduisions silencieusement, regardions ses sculptures, ouvrions tous les tiroirs… Elle était pourtant une femme “à la russe”, nourrissante et accueillante.
À 18 ans, lorsque j’ai eu mon permis de conduire, j’ai servi de chauffeur à ma grand-mère et à mon père, qui était atteint de poliomyélite. J’ai alors découvert dans quel autre monde elle vivait ! Je l’accompagnais partout. Elle adorait recevoir les samedis, et cuisiner pour ses nombreux amis, artistes et admirateurs. »
« Je n’aurais pas été la même artiste si je n’avais pas été mère »
« C’est ma mère qui a fait le choix de Maternité 1914 comme premier moulage par vos soins. Elle trouvait très belle cette fusion de la mère et de son enfant. Et c’était un thème central dans l’œuvre de Chana Orloff, qui déclarait d’ailleurs : “Je n’aurais pas été la même artiste si je n’avais pas été mère.”
Anaïs Nin, qui fréquentait avec Henri Miller la villa Seurat, une maison voisine de celle de ma grand-mère, venait souvent lui rendre visite. Devant les Maternités de Chana Orloff, l’écrivaine américaine avouait se sentir oppressée, car, pour ces femmes d’avant-garde, être mère n’était pas essentiel. Ce n’était plutôt qu’un « dégât collatéral » ! Pour Chana, au contraire, la maternité était enrichissante et inspirante. D’ailleurs, regardez ses femmes enceintes ; elles sont remarquablement sereines et confiantes en leur avenir.
Ma grand-mère, femme forte et combative, s’est beaucoup incarnée à travers ses nombreuses sculptures de femmes au ventre rond, ou bien accompagnées de leur enfant, ou encore pareilles à des Amazones. Fille et petite-fille de sage-femme en Ukraine, elle a émigré ensuite de Palestine pour devenir, à Paris, apprentie dans une maison de haute couture. Mais c’est la sculpture qu’elle a découverte et qui l’a fascinée. Elle a réussi l’année suivante le concours d’entrée de l’École des arts décoratifs. Elle a également fréquenté la célèbre académie Vassilieff. Elle a, à cette époque, rencontré de nombreux artistes – dont Picasso, Foujita, Apollinaire, Modigliani – et réalisé sa première sculpture, un portrait de sa grand-mère d’après photo.
Veuve en 1919, Chana Orloff a élevé, seule, son fils, Élie – alias “Didi” –, âgé de 1 an seulement lorsque son père, Ary Justman, est décédé de la grippe espagnole. Plus tard, en 1942, ils ont tous deux échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv et se sont réfugiés en Suisse. Les liens qu’ont tissé la mère et le fils ont été puissants. « Il était tout pour elle, et elle, tout pour lui » confie Ariane. Tout près de la villa Seurat, au centre d’une jolie place arborée, la statue en bronze de Didi, « Mon fils marin », s’élève comme un témoignage d’amour maternel inconditionnel qui défie le temps.
Ma grand-mère était une femme incroyablement déterminée et libre, n’acceptant aucun préjugé. Très tôt, elle décréta qu’on ne la marierait pas, qu’elle aurait un métier, qu’elle voulait apprendre à lire et à écrire ! Elle a été un exemple incroyable pour les féministes de l’époque. »
Pour continuer à lui rendre hommage, notre atelier réalise la prise d’empreinte d’une seconde statue, L’Acrobate, sculptée en 1960. « Le choix de ce nouveau moulage est une œuvre représentative de la deuxième période de vie de Chana Orloff, après la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu’elle est revenue à Paris, avec Didi, elle a retrouvé sa maison-atelier pillée. Elle s’est remise tout de suite au travail. L’Acrobate incarne bien l’évolution de son travail vers la simplification des formes et une expressivité corporelle plus intense. Tandis que le corps de la danseuse, en mouvement, merveilleusement lisse, rappelle les sculptures de la période d’avant-guerre, son visage et ses cheveux, rugueux, hachés, proches de l’abstraction, font écho à la brutalité du nazisme, aux blessures et au bouleversement du monde.
Cette danseuse qui réalise une difficile arabesque incarne une femme à laquelle rien n’est impossible ! Les notions de dépassement et d’intensité se lisent dans l’expressivité de son corps. Elle est le reflet de l’artiste qui l’a créée : une femme affranchie, à la détermination exceptionnelle, une figure emblématique de l’art moderne et, enfin, une source d’inspiration pour tous ceux qui se battent pour leur liberté et leurs ambitions, quels que soient les obstacles. »
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