La haute distinction de Maître d’art récompense Bertrand Dupré, chef de l’atelier de la Chalcographie, pour la singularité de son expertise, et l’engage dans la transmission de ses savoir-faire, rares et exceptionnels, à son Élève Lucile Vanstaevel.
Il flotte, dans l’atelier, une odeur épaisse d’encre et de papier. Par les hautes fenêtres, une douce lumière matinale éclaire les estampes suspendues aux murs au gré des tirages. Trois lourdes presses, dans un bruit feutré, tournent au cœur de l’atelier : centenaires, elles étaient à l’origine installées au Louvre, avant les déménagements successifs qui les portèrent ici, à Saint-Denis.
Aujourd’hui, l’activité s’organise autour d’elles. Trois imprimeurs taille-douciers œuvrent à l’impression d’estampes. Autour des plaques de cuivre originales, ils répètent des gestes précis, préparent les couleurs, encrent les gravures, essuient la matière et la frottent de la paume de leurs mains, placent sous les lourds rouleaux les plaques désormais miroitantes.
Il règne une effervescence inhabituelle. Les langues se délient, la nouvelle vient d’être annoncée… Le chef de l’atelier, Bertrand Dupré, reçoit ce soir la plus haute distinction des arts appliqués décernée par le ministère de la Culture et l’Institut national des métiers d’art (INMA). Il passe Maître d’art dans la pratique de l’impression et gravure en taille douce.
Ses gestes et ses savoirs traduisent son expertise. Il maîtrise parfaitement, pour les avoir pratiquées depuis plus de vingt-cinq ans, les techniques de l’impression en creux des plaques anciennes et contemporaines, des encrages, de l’immersion des plaques de cuivre dans l’acide. La collection historique des plaques et des gravures de l’atelier ainsi que le fonds des estampes contemporaines du Louvre n’ont pas non plus de secrets pour lui. Tous les ans, avec son équipe, il initie, guide ou accompagne dans les techniques de la gravure, de l’eau-forte et de l’aquatinte des artistes répondant à une commande du musée du Louvre.
Aujourd’hui est un grand jour pour lui, pour son équipe et aussi pour l’atelier où il se presse chaque matin depuis 2001. Au Japon, il serait qualifié de « Trésor national vivant », car il est, en vertu de son savoir-faire et de ses connaissances, porteur de la mémoire patrimoniale. C’est en effet en s’inspirant du modèle japonais que La France a créé en 1994 le titre de Maître d’art, qui « distingue des artisans de passion pour la singularité de leur savoir-faire, leur parcours exceptionnel et leur implication dans le renouvellement des métiers d’art » (INMA).
Il est le 150e artisan d’élite élevé à ce rang honorifique. Plus qu’une reconnaissance, le titre de Maître d’art est le symbole d’un engagement. Une fois nommé, l’imprimeur taille-doucier a le devoir de transmettre son savoir-faire à l’Elève qu’il a nommé et avec lequel il a été sélectionné, en l’occurrence, Lucile Vanstaevel, taille-doucière graveuse, qui officie déjà depuis près de dix ans à l’atelier de chalcographie des musées nationaux.
Un binôme déjà complice
Initiative unique en Europe, le dispositif « Maîtres d’art – Élèves » tisse un réseau d’excellence et constitue à la fois un programme d’accompagnement et un tremplin professionnel. Pendant trois ans, l’atelier recevra une allocation annuelle pour sa nouvelle fonction de recherche et développement et bénéficiera de l’accompagnement pédagogique de l’INMA.
Ainsi, l’atelier de chalcographie, lieu de création et d’histoire traversé depuis la Révolution par de nombreux artistes anciens et contemporains, devient aujourd’hui un conservatoire de l’impression taille-douce, en même temps qu’un laboratoire de recherches et d’expériences sur la gravure.
Le binôme déjà complice de Bertrand Dupré et Lucile Vanstaevel – tous deux issus de l’école Estienne – enrichira les savoir-faire et les pratiques du domaine de la gravure en les ouvrant à de nouveaux champs d’exploration et à des échanges avec d’autres ateliers. Le sujet d’étude qu’ils ont choisi, dans l’univers des estampes largement monochromatiques, porte sur les couleurs et l’encrage des plaques de cuivre, et vise à mieux accompagner les artistes contemporains dans leur travail de création. À travers, notamment, l’impression en couleur des planches modernes les plus complexes de la Collection -deux gravures d’interprétation de Jacques Villon, La Maternité, de Picasso et Le Déjeuner sur l’herbe, de Manet-, ils étudieront ensemble les huiles et résines qui forment les liants et servent à broyer les pigments, ainsi que la manière dont sont gravées les plaques : une alchimie indispensable qui permet d’assurer dans le temps la qualité des tirages des planches, selon leur spécificité technique et historique.
À travers ce titre de Maître d’art, les Ateliers d’art des musées nationaux, qui rassemblent l’atelier de chalcographie et l’atelier de moulage, sont une fois de plus couronnés pour les savoir-faire remarquables et précieux de leurs artisans d’élite. Une reconnaissance qui s’ajoute au titre de Meilleur Ouvrier de France (MOF) reçu en 2015 par Arnaud Briand, mouleur-statuaire, et aux deux labels de qualité décernés aux ateliers par Entreprise et Découverte (ED) : « Entreprise du patrimoine vivant » (EPV) et « France savoir-faire d’excellence ». Maîtres du geste, les ateliers sont les gardiens avisés d’un patrimoine national.