La rencontre de Camille Henrot avec le musée du Louvre et nos ateliers d’art du GrandPalaisRmn inscrit une nouvelle page dans l’histoire de l’estampe contemporaine. Nos artisans ont accompagné cette artiste majeure dans la création d’une nouvelle plaque aujourd’hui intégrée aux prestigieuses collections du Louvre, Les Matheron-1. Décryptage de l’œuvre.

GrandPalaisRmn
Exploration et création : Camille Henrot au cœur du musée
À l’invitation du Louvre, l’artiste a effectué une longue visite privée des collections, y puisant l’inspiration nécessaire à la création de la nouvelle estampe commandée par le musée.
Pour Camille Henrot, cette démarche est au cœur de sa méthodologie créative : « Mon travail prend systématiquement son origine dans un processus de collection (d’images, de textes et d’objets), une démarche qui se situe dans la lignée critique et poétique des collectionneurs comme Walter Benjamin ou Joseph Cornell.
Cette première phase est suivie d’une réorganisation arbitraire, structurée en catégories personnelles, qui frôle souvent l’absurde et révèle une forme de névrose. L’œuvre vidéo, Grosse Fatigue, par exemple, réalisée en 2013 à partir des collections muséales du Smithsonian de Washington – le « musée des musées » américain – incarne ce principe. Elle se présente comme un feuilletage frénétique d’images et d’informations. Elle donne à voir, à travers l’excès de son inventaire et de son montage, « l’excédent du monde » selon l’expression de Jean-Luc Nancy. »

Jeu de miroirs
Pour cette commande publique, c’est Le Diptyque des Matheron qui a servi de point d’ancrage à sa future création. Le choix de cette œuvre semble faire écho à une fascination ancienne de l’artiste pour les zones les plus confidentielles du musée, comme elle nous l’explique : « Enfant, au-delà des incontournables, ce sont les recoins discrets et les moins populaires de la collection française qui captaient mon attention. Je m’arrêtais volontiers devant les portraits de petites tailles des xvi et xviie siècles, fascinée par la manière dont les visages étaient détourés et encadrés par l’austérité des collerettes et des hauts-de-forme de l’époque. »
Du couple originel, Camille Henrot a choisi d’en réinterpréter l’essence. Elle a extrait la figure féminine, la dédoublant pour créer un dialogue, un jeu de miroirs.
« Initialement, j’avais transformé Le Diptyque des Matheron en un diptyque symbolique qui déconstruisait l’organisation genrée de la société, chaque panneau représentant le féminin et le masculin. Mais j’ai évolué vers un second diptyque qui met en scène Madame Matheron se regardant elle-même à travers deux portraits réalisés selon des techniques d’impression radicalement différentes — la pointe diamant et la peinture au sucre. Ainsi, l’idée du miroir dans l’œuvre a basculé et ne renvoie plus seulement à l’identité ou au genre, mais devient un reflet de la technique d’impression elle-même. Je suis passée d’une réflexion sur le genre à une investigation sur la reproduction et la matérialité de l’image. »

L’empreinte de l’enfance
Pour Camille Henrot, diplômée de l’École des Arts Décoratifs en 2002, la gravure est un héritage familial. Sa mère, l’artiste Maud Greder, formée à l’atelier de William Hayter dans les années 70, possédait sa propre presse. Cette filiation a créé chez elle un lien profond avec les gestes ancestraux et les techniques traditionnelles. Elle a ainsi repris cet héritage avec la volonté d’affirmer sa propre maîtrise des techniques si particulières de l’eau-forte et de la gravure sur cuivre.
A notre atelier, son geste est épuré, instantané, refusant toute retouche. De nombreuses plaques préparatoires ont été réalisées, des essais méticuleux, mais le travail final sur chacune des deux plaques s’est opéré en un seul jet avec une rapidité déconcertante. C’est là toute la force de son approche : une préparation intense pour une exécution quasi méditative, un geste sans retour. « En tant qu’artisans, notre rôle était de respecter et d’accompagner au mieux cette liberté, cette fulgurance créative, confie Lucile Vanstaevel, imprimeure taille-doucière à notre atelier. Camille Henrot a expérimenté des techniques distinctes, cherchant les médiums qui lui permettraient de traduire au mieux sa vision. Elle a finalement opté pour la gravure au sucre et une technique plus incisive. L’une des particularités les plus fascinantes de son approche fut l’utilisation de pinceaux de calligraphie pour réaliser le dessin de la gravure au sucre. C’est un outil qu’elle maîtrise parfaitement dans sa pratique habituelle et qu’elle a su intégrer à des techniques moins familières pour elle ».
Avec le soutien de nos imprimeurs taille-douciers, elle a adapté ces médiums, les pliant à sa volonté pour retrouver son propre geste, sa signature artistique.

L’art de la variation
L’œuvre de Camille Henrot se déploie dans la répétition et la variation, une démarche que la gravure, par sa nature même, accueille à merveille. Dans l’estampe contemporaine, Les Matheron–1, le principe sériel se matérialise à travers le diptyque inversé de la femme Matheron. L’image se reflète, créant un effet de miroir et un dialogue silencieux qui invite le spectateur à une réflexion sur la dualité et l’identité. Dès le début du processus créatif, la couleur s’est imposée comme un lien invisible et subtil, une composante essentielle de sa vision : le bronze profond, rehaussé d’une touche de rouge, apporte ainsi une cohérence visuelle aux deux figures.
En rejoignant en 2025 les collections de la Chalcographie du Louvre, l’estampe de Camille Henrot célèbre une rencontre réussie. Elle incarne une exploration audacieuse de l’histoire de l’art par une appropriation des techniques traditionnelles. L’œuvre prouve, une fois de plus, que le dialogue entre l’art contemporain et l’histoire est non seulement possible, mais essentiel pour régénérer la création.
Commandez l’estampe réalisée par Camille Henrot