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« Cézanne 2025 » : notre atelier donne le ton aux couleurs de Jacques Villon

Avec l’exposition « Cézanne au Jas de Bouffan », le musée Granet d’Aix-en-Provence marque le coup d’envoi de « Cézanne 2025 », année de célébration de l’artiste provençal. Notre atelier de chalcographie s’associe à l’événement par l’impression, en tirage limité, d’une estampe exceptionnelle : La Montagne Sainte-Victoire. Bien plus qu’un simple hommage au maître de la couleur, cette pièce unique, gravée sur cuivre en 1930 par l’artiste Jacques Villon, fut, à l’époque, une véritable prouesse technique. Grâce à de longues et passionnantes recherches chromatiques, nos artisans imprimeurs ont restitué au plus près les couleurs de la gravure originale et obtenu des tirages d’une extraordinaire beauté.

La Montagne Sainte-Victoire gravée par Jacques Villon, d’après Paul Cézanne (1920)

Sur les traces de Jacques Villon
Depuis 2022, Lucile Vanstaevel et Bertrand Dupré, artisans imprimeurs de notre atelier engagés dans le dispositif « Maître d’art – Élève » de l’Institut pour les savoir-faire français, se sont lancés dans une aventure captivante. Ils s’attachent à étudier et à réimprimer les gravures d’interprétation de Jacques Villon, artiste singulier issu d’une lignée prestigieuse : il était à la fois le frère aîné de Marcel Duchamp et le petit-fils de l’artiste Émile Frédéric Nicolle, qui l’initia à la gravure.
Pendant une décennie féconde (1922-1933), Villon s’est mesuré aux géants : Matisse, Braque, Picasso, Cézanne, Manet, Renoir… Il a réinterprété, en gravure, une cinquantaine de leurs œuvres emblématiques, et la Chalcographie du Louvre conserve aujourd’hui une partie des précieuses gravures ainsi créées.
Notre « maître d’art » Bertrand Dupré et son « élève » Lucile Vanstaevel s’attachent à déchiffrer les choix artistiques de Villon et à transposer fidèlement l’essence des œuvres originales : ils célèbrent ainsi le dialogue intemporel entre les arts tout en repoussant, par leur goût pour l’exploration, les limites techniques de leur métier.
Après Maternité d’après Picasso en 2023 et Le Déjeuner sur l’herbe d’après Manet en 2024, notre atelier s’est donc attelé à l’impression de La Montagne Sainte-Victoire d’après Cézanne. Tirée à seulement 20 exemplaires, cette estampe exceptionnelle a exigé de notre binôme un travail d’une grande minutie.

Vue des essais de touches de couleur créant ainsi un effet de nancier.
L’atelier de la Chalcographie

Du Déjeuner sur l’herbe à La Montagne Sainte-Victoire : une prouesse technique
« Paul Cézanne est le maître absolu de la couleur, confie Lucile Vanstaevel. Il a décomposé et juxtaposé les tons pour créer des paysages vibrants, sans contours définis. C’est cette abstraction dans le paysage qui nous a particulièrement séduits dans La Montagne Sainte-Victoire. Le peintre y célèbre la nature, n’intégrant la présence humaine que par le viaduc et quelques maisons.
« Pour cette estampe, nous avons relevé un défi technique passionnant : réimprimer les quatre plaques gravées en superposant les encres pour un effet « faire peinture » cher à Villon. Si l’approche est plus simple que dans le cas du Déjeuner sur l’herbe – où nous avons utilisé une trentaine de couleurs ! –, La Montagne Sainte-Victoire n’en est pas moins complexe. Ici, nous avons joué avec quinze couleurs au total, en menant une recherche particulière sur les tons laiteux, les blancs et les transparences. L’enjeu était de restituer un paysage vibrant avec des rapports de force chromatiques, aux jeux de lumière saisissants, et de faire « éclater » le jaune pour évoquer la lumière traversante du soleil. Le processus d’impression reste entièrement manuel et la part de l’imprimeur est importante. Pour certaines couleurs, comme le jaune éclatant ou le vert de l’arbre au premier plan, nous sommes obligés d’en accentuer le contraste à la main en appliquant l’encre en épaisseur. »

Gros plan sur le geste de l'artisan qui retire le trop plein d'encre sur la plaque
L’essuyage d’une plaque à l’aide d’une tarlatane

Un voyage initiatique au cœur de la couleur
« Pour retrouver l’aspect fragmenté et unique des couleurs de Cézanne, explique Bertrand Dupré, nous avons longuement retravaillé les nuances de bleu et de jaune, cherchant inlassablement à insuffler la vibration exceptionnelle du paysage. »
Emportés dans cette quête ininterrompue de la couleur, en février dernier, nos imprimeurs ont quitté l’atelier à l’occasion d’un voyage d’études en Suisse aux sources de la fabrication des encres. « Avec Bertrand, poursuit Lucile Vanstaevel, nous avons rejoint un atelier de taille-douce à Saint-Prex, au bord du lac Léman. Là, nous avons été accueillis par Valentine Schopfer, l’héritière d’un atelier fondé en 1968 par Pietro Sarto, un lieu où l’art de fabriquer ses propres encres se transmet entre artistes et artisans. L’expérience fut tout simplement inoubliable ! Nous avons commencé à percer les secrets de fabrication d’encres anciennes, à partir de pigments synthétiques ou naturels comme la cochenille. Nous sommes allés dans la forêt pour y cuire l’huile, pour explorer de nouveaux liants, et pour broyer longuement nos encres et obtenir une viscosité adaptée aux creux gravés.
« Nous poursuivrons cette exploration dès le mois d’octobre, afin d’élaborer une encre à partir de plusieurs pigments, capable d’offrir une gamme chromatique étendue en fonction de la profondeur des tailles. »

Détail de l'estampe
Détail de l’estampe

L’alchimie des pigments : un avenir en couleurs
Le travail sur les pigments, véritable alchimie qui doit permettre de mieux les utiliser et de les sublimer, est une quête essentielle pour les artisans de notre atelier de chalcographie. Bien que ces derniers utilisent aujourd’hui des encres industrielles, ils les adaptent avec minutie aux spécificités de chaque gravure de notre précieuse collection. C’est là un art de précision : ainsi, pour les gravures au burin, une technique permettant d’obtenir des contours d’une grande netteté, nos imprimeurs cuisent des vernis avec des résines et des cires, de façon à restituer avec une fidélité stupéfiante la définition et le contraste originels des œuvres.
À terme, l’ambition de la Chalcographie est de devenir un interlocuteur direct et privilégié des fabricants d’encre. Ce projet répond aux défis actuels du marché, marqué notamment par la fermeture de certains fournisseurs et l’arrêt de la production de gammes d’encres essentielles pour notre atelier, notamment des encres françaises réputées pour leur qualité exceptionnelle. En collaborant avec d’autres fabricants européens, l’atelier développe une gamme de couleurs sur mesure. Cette démarche, menée avec passion par nos artisans imprimeurs, garantit non seulement la qualité de nos créations mais aussi la pérennité d’un art ancestral dans un monde en constante évolution.

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