En commandant une estampe contemporaine au sculpteur Jean-Marie Appriou, le musée du Louvre enrichit la collection nationale. Accompagné par notre atelier de chalcographie, l’artiste a gravé une nouvelle plaque, Constellation du Louvre, un récit allégorique de l’histoire du plus grand musée au monde.
1834. Un soir d’été, Victor Hugo, scrutant le ciel à la lunette télescopique, est tout d’abord dépité de ne voir qu’un « segment obscur », la « plénitude du noir ». Puis, sa « rétine faisant ce qu’elle [a] à faire », il a cette révélation qui l’éblouit : il découvre les cratères de la Lune, ses précipices, ses vallées « nivelées par l’ombre » (Promontorium Somni).
L’œuvre de Jean-Marie Appriou est, comme la Lune dans le texte du poète, plongée dans l’obscurité, attendant qu’une vision pénétrante la révèle à son spectateur. Au fur et à mesure que l’œil s’adapte aux ombres, aux noirs et blancs qui composent l’estampe, les figures émergent comme des étoiles. Les constellations se révèlent dans une immensité silencieuse. De cette nébuleuse jaillit d’abord une louve qui nous fixe de son regard pétrifiant. Puis, une colombe, dans un battement d’ailes, s’élance vers le ciel, fuyant l’aigle sur lequel elle s’était posée. Sur la voûte céleste, un lion-tigre joue avec les étoiles. Et le décor progresse de constellation en constellation.
Une fable céleste animalière
« Donatien Grau, le conseiller des programmes contemporains au Louvre, m’a raconté avec passion, confie l’artiste, l’histoire de cette grande institution depuis sa création en 1793. Il m’a rappelé la seule contrainte de la commande : j’avais carte blanche, mais le sujet devait être le Louvre. »
Au gré d’une plongée dans les origines du musée, Jean-Marie Appriou a identifié les personnalités marquantes de son histoire. « Le ciel est un grand spectacle, explique-t-il. Nous y cherchons encore nos origines et l’histoire du big bang. Nos ancêtres utilisaient pour la navigation la disposition des étoiles dans le ciel. Elles portent, pour un grand nombre d’entre elles, des noms d’animaux. J’ai pensé que raconter les grandes étapes de l’histoire du Louvre à travers une fable animalière pourrait être éloquent et parler à tous. » Comme La Fontaine, qui « [s]e ser[t] d’animaux pour instruire les hommes », Jean-Marie Appriou a tracé la carte céleste, constellée d’histoires, d’un monde qui serait le Louvre.
« À gauche, une louve plante le décor, commente l’artiste. Une des hypothèses sur l’origine du nom Louvre le rapproche du mot lupus en latin. La forteresse bâtie au XIIe siècle aurait pris son nom de cette forêt riche en loups.
Tout en haut, dans le ciel, un lion est accroché à un cheval. Le roi des animaux fait référence aux rois qui ont créé et transformé le palais. Je me suis inspiré de La Chasse aux lions, dessin de Rubens exposé au département des Arts graphiques.
Tout en bas de la gravure, le chacal, Anubis, regarde vers le sud-est, vers l’Égypte. Il évoque Dominique Vivant Denon et les antiquités égyptiennes exposées au musée. Sa queue et ses pattes dessinent en filigrane le contour d’une pyramide.
Une salamandre serpente dans la cour. Symbole de François Ier, grâce auquel le Louvre possède la plus importante collection au monde d’œuvres de Léonard de Vinci, elle rappelle l’aile italienne. Dans une forme de clin d’œil aux longues files d’attente des touristes, je lui ai creusé une très longue queue !
Un aigle, qui représente Napoléon, vient d’une manière belliqueuse se poser sur le dos de la louve. Les aménagements du musée que nous connaissons aujourd’hui doivent beaucoup à l’Empereur, qui portait l’ambition de réaliser le plus grand musée du monde.
Tel un engin militaire, l’aigle fait fuir une colombe : cette figure, allégorie de la douceur, de la pureté et de la paix, évoque les oiseaux que Braque a peints sur le plafond de la salle Henri II.
Enfin, le cheval cabré, qui rappelle la manière du Bernin, est une image de Louis XIV ; l’ombre qu’il dessine évoque l’absence du jeune Roi-Soleil au Louvre. Après l’épisode historique de la Fronde, le souverain choisit de délaisser le Louvre pour s’installer avec sa cour au château de Versailles.
Tous ces animaux dans l’espace sont comme un carottage dans le temps. Les sédiments sont les personnages qui ont laissé leurs empreintes. »
Pendant tout le mois de juillet, Jean-Marie Appriou a gravé dans notre atelier la plaque commandée par le Louvre, avec l’aide des imprimeurs taille-douciers. Il se souvient : « Au départ, la pression était grande d’honorer une telle commande. Bertrand Dupré, le chef d’atelier, m’a apaisé et je me suis laissé porter par la douceur de l’atelier et la bienveillance de ses artisans. Lucile [Vanstaevel] et Marius [Tessier] m’ont aidé à attaquer la gravure à l’acide et à l’aquatinte pour obtenir des effets brumeux et arriver à une vision magique. J’ai creusé une couche inframince de métal, à peine perceptible, dont j’ai encré ensuite les sillons.
La gravure est bien plus proche de la sculpture que de la peinture. Lorsque je creuse la terre, je crée des ombres et quand je grave la plaque, j’introduis des tonalités de gris. J’ai eu le temps d’observer la délicatesse et la patience des imprimeurs, si attentifs aux imperceptibles nuances de blanc, de noir et de valeur. Ils sont des athlètes de l’œil, et les maîtres des ombres ! »
Profitant de l’exercice de la gravure et de l’impression, l’artiste a exploré le fonds de l’atelier et a découvert « un nouveau monde, comme une perle dans une coquille Saint-Jacques! ». « Sophie Prieto, cheffe des Ateliers, a très vite compris, ajoute-t-il, l’univers fantastique dans lequel j’aime m’immerger. Elle a débusqué pour moi des estampes anciennes, et notamment un portrait d’Edgar Allan Poe gravé par Henri Lefort. De retour dans mon atelier, j’ai sculpté le visage en terre ; je le travaillerai ensuite en verre soufflé pour ma série de portraits d’auteurs. J’aimerais l’exposer sur le stand du prochain salon Paris+, qui dévoilera en avant-première la Constellation du Louvre. »