Lorsqu’un chef-d’œuvre impressionniste, Le Déjeuner sur l’herbe, rencontre les techniques innovantes du célèbre graveur Jacques Villon, il en résulte un voyage captivant à travers les couleurs et l’histoire de l’art. Lucile Vanstaevel et Bertrand Dupré, imprimeurs taille-douciers dans notre atelier, ont entrepris un projet ambitieux : reproduire l’interprétation de Villon. En réalisant une recherche minutieuse et complexe sur les secrets des couleurs et d’encrage des plaques de cuivre, ils insufflent une nouvelle vie à la célèbre toile du musée d’Orsay.
Distingué « Maître d’art – Élève » en 2022 par l’Institut pour les savoir-faire français et le ministère de la Culture, notre binôme d’imprimeurs taille-douciers avait déjà travaillé sur Maternité, gravure de Jacques Villon d’après Pablo Picasso. Ils poursuivent cette année leur travail sur les secrets des couleurs dans l’univers des estampes essentiellement monochromatiques.
Si l’impression de Maternité a nécessité trois plaques, encrées avec treize couleurs pour la première, huit pour la seconde et cinq pour la troisième, Le Déjeuner sur l’herbe, encore plus riche en teintes, requiert quatre plaques et de très nombreux pigments. Retrouver les tons et les transparences exige un long travail.
Jacques Villon, frère aîné de Marcel Duchamp
Le binôme a souhaité prolonger ses recherches autour du travail du graveur Jacques Villon, de son vrai nom, Gaston Duchamp. Frère aîné de Marcel Duchamp et petit-fils de l’artiste Émile Frédéric Nicolle, qui l’initia à l’art, il a interprété pendant presque dix ans, de 1922 à 1933, une cinquantaine de tableaux de grands maîtres tels que Matisse, Braque ou Renoir. Entre 1925 et 1934, l’artiste a cédé une partie des plaques gravées de cette série à la Chalcographie du Louvre, qui en conserve aujourd’hui une trentaine.
Lucile Vanstaevel nous confie : « Nous voulions redécouvrir les planches modernes de la Chalcographie du Louvre. Le corpus de Villon a été comme une évidence pour nous. Il s’agit des planches les plus complexes de la collection. En première étape, l’impression des plaques en noir et blanc nous a révélé la manière dont l’artiste élaborait son image, depuis la mise en place des masses abstraites jusqu’aux contours, plus cernés, du dessin. Cette décomposition nous a permis de mieux comprendre l’ingénieuse méthode du graveur, qui, en usant de forts contrastes, accentuait le creux des tailles pour conserver la fraîcheur des tons.
« Chez Villon, le travail est très tactile. On retrouve partout l’empreinte tangible de ses doigts ! Peinture et matière se confondent chez cet artiste, à la fois peintre et graveur. Ce plaisir tactile, cette sensation de modeler la matière se ressent dans chaque estampe. C’est ainsi, comme un peintre qui superpose des couches en revenant inlassablement sur son ouvrage, que Villon a construit ses gravures, notamment celle du Déjeuner sur l’herbe, qui requiert quatre plaques.
« C’est fascinant comme il donne envie d’explorer les différentes couches de matière qui composent l’image et qui vibrent ensemble. Il y a une granulosité qui titille l’œil ! Faire peinture dans la gravure, un peu comme c’est le cas dans l’estampe de Marine Wallon, Isola, où les couleurs se superposent. En fait, pour les peintres ou les graveurs comme Villon, seule la matrice change ! »
L’impression de chaque estampe est un défi technique et artistique : celle du Déjeuner sur l’herbe s’est révélée d’une très grande complexité. La richesse chromatique, la composition audacieuse, la subtilité des nuances, les profondeurs de gravure ont exigé une maîtrise parfaite du métier d’imprimeur graveur.
Si ce projet qui reprend les planches de Villon rend hommage à un maître incontesté, il contribue aussi à enrichir le champ de la gravure contemporaine.
Commandez un tirage du Déjeuner sur l’herbe