La présentation de l’Ours blanc, en 1922, au Grand Palais, apporte la célébrité à son sculpteur, François Pompon, alors âgé de 67 ans. Aujourd’hui, plus de 20 moules de ses sculptures animalières sont conservés à l’atelier de moulage des musées nationaux, parmi lesquels trois de l’Ours blanc dans des formats différents, et celui de la tête de l’ours, dont le bronze était accroché à la porte de l’atelier de l’artiste. Nous avons interrogé Naïs Lefrançois, conservatrice au musée des Beaux-Arts de Dijon, pour comprendre l’histoire de cet ours, qui va modifier la vie de son auteur et en devenir le blason.
1922… Tandis que Claude Monet lègue à l’État les panneaux des Nymphéas et qu’Howard Carter découvre la tombe de Toutankhamon, l’artiste François Pompon prépare un grand ours en plâtre qu’il exposera au Salon d’Automne, tout près du Dindon, de la Poule d’eau, du Marabout et de l’Hippopotame. « Comme les autres artistes, François Pompon a présenté ses pièces en plâtre au Salon dans l’espoir d’avoir des commandes et de les réaliser ensuite en marbre ou en bronze, qui sont des matériaux coûteux », explique Naïs Lefrançois.
Le vernissage a lieu le vendredi 31 octobre 1922 au Grand Palais. Le sculpteur, qui était alors à l’ombre des grands praticiens, ne se doute pas qu’il entrera, dès le lendemain, dans la postérité.
« Il imprime à la matière le frémissement subtil des êtres vivants »
Le soir même, dans le journal Comoedia, le critique et conservateur René-Jean annonce la « révélation » de l’artiste, qu’il présente aux lecteurs en ces termes : « […] Ne doit-on pas considérer comme une révélation la place que prend soudainement ce vieil artiste invité au Salon d’Automne […] ? […] Il a passé sa jeunesse dans la tâche ingrate de tailler marbres et pierres, dont des sculpteurs renommés lui confiaient la maquette ou le plâtre. […] Aujourd’hui, il est accueilli au Salon d’Automne avec la place que méritaient ses efforts. Il est un grand animalier de grand style qui sait donner à ses créations l’aspect auguste de la vie. Par cette magie mystérieuse, don de l’artiste, il imprime à la matière le frémissement subtil des êtres vivants […]. Cet ours blanc qui semble avancer en ondulant sa souple échine… Toute une ménagerie est là, sortie des mains d’un artiste qui donne à ses jeunes confrères une noble leçon de talent et de modestie. Saluons donc l’Ours, qui semble monter la garde au pied de l’escalier… »
Au musée d’Orsay, la reproduction en pierre
Après cette consécration, l’État passe commande du grand ours à François Pompon. « Dès 1927, le plâtre original subit quelques retouches pour servir de modèle, en 1928, à la grande sculpture en pierre exposée aujourd’hui au musée d’Orsay. Le plâtre original fait actuellement partie des collections du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, auquel il a été légué à la mort de François Pompon. Il est en dépôt au musée de l’Homme », explique Naïs Lefrançois.
Impressions d’Orient
Avant cette reconnaissance, François Pompon taille le marbre notamment pour Jean Dampt, Antoine Mercié, Camille Claudel, mais aussi pour Auguste Rodin, qu’il finit par quitter en raison de trop nombreux retards de salaire. Trouvant un accord avec ce dernier, François Pompon ne l’assigne pas devant le conseil des prud’hommes, mais démissionne définitivement pour rejoindre l’atelier de René de Saint-Marceaux, qui deviendra plus tard son ami.
Attentif aux nouvelles recherches plastiques, il s’intéresse à l’esthétique japonaise, très populaire dans les milieux artistiques de cette époque, et se montre fasciné par l’Égypte antique et ses animaux sacrés. L’art d’Orient marque sans doute ses compositions personnelles. Dès 1905, Francois Pompon se consacre à la représentation des animaux, dont il épure les formes, lisse les détails et rythme les pas. Il puise son inspiration dans la basse-cour de sa maison en Normandie et, pour ses modèles plus exotiques, au Jardin des plantes à Paris : il y installe son atelier portatif, qu’il a fabriqué lui-même, et modèle sur le vif hippopotames, panthères et ours blancs, qu’il observe longuement. « Je fais l’animal avec presque tous ses falbalas et puis, petit à petit, j’élimine de façon à ne plus conserver que ce qui est indispensable », confiait-il.
Aussitôt après le Salon d’Automne, son bestiaire, désormais célèbre, s’expose dans le monde entier, depuis le Japon en passant par les États-Unis ou le Brésil. Pompon décède en 1933 des suites d’une opération chirurgicale. Veuf et sans enfant, il lègue près de 300 œuvres à l’État français. « Le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, dépositaire du legs de l’artiste, répartit les œuvres entre plusieurs musées. En 1948, à la demande instante du chanoine Kir, alors député-maire de Dijon, la quasi-totalité des dons est transférée au musée des Beaux-Arts de Dijon. Pompon était originaire de Saulieu, et donc une personnalité bourguignonne ! » précise Naïs Lefrançois.
Son héritage artistique est indéniable et sa vision esthétique, plus que jamais moderne. Les formes simples et épurées de ses œuvres répondent à la tendance design minimaliste actuelle, en écho à l’une des maximes du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. »
Retrouvez nos moulages des sculptures du Musée des Beaux-Arts de Dijon