Chaque année, des artistes contemporains sont invités par le musée du Louvre à plonger dans l’univers de la gravure et bénéficient de l’expertise technique des artisans de l’atelier de chalcographie de la Rmn – Grand Palais. Après Annette Messager et Rosanna Lefeuvre en 2021, puis Barthélémy Toguo cette année, c’est l’artiste peintre Marine Wallon qui enrichit à son tour la collection des estampes contemporaines.
L’atelier invite aujourd’hui l’artiste à décrypter l’histoire d’Isola, une gravure qui prolonge ses recherches picturales, en révélant sa relation particulière au geste, au temps ainsi qu’à la matière et à ses variations.
Une montagne qui se liquéfie dans la mer
En un mois, Isola, cette grande montagne bleue, a surgi d’une île comme « un lieu de rêverie », selon sa créatrice. « L’île est pour moi associée à une plage blanche, où tout peut surgir. Je suis arrivée à l’atelier avec ce décor qui m’avait semblé stimulant pour mener cette expérimentation en gravure. Un lieu épuré, loin de tout, découpé en trois espaces : le ciel, la terre et l’eau. Le ciel, couleur abricot, produit un effet diffus et velouté. Juste en dessous, la montagne se détache par un trait précis, avec une matière épaisse, hachée, qui donne un mouvement, une sensation de vent. Un punctum rouge, comme un grand soleil brûlant, surplombe le mont. Enfin, la partie basse est un assemblage des deux premières : la mer est un fondu orangé créé à l’acide avec une large trace bleue pinceau, créée, elle, avec du sucre… Elle est moins en mouvement que la montagne et constitue la conclusion de l’estampe. J’aime jouer avec ces contradictions. Et pour le Louvre, je tenais à ce que les matières se contredisent. »
La trace du geste
Parmi les trois imprimeurs taille-douciers de l’atelier, c’est Lucile Vanstaevel qui a accueilli Marine Wallon et l’a accompagnée tout au long de son processus de gravure. Saisie par la façon dont l’artiste a su remettre en jeu ses gestes de peintre pour mieux saisir les spécificités de la gravure, elle nous confie que la sincérité et la qualité de leurs échanges l’ont beaucoup touchée. En réponse, Marine Wallon poursuit : « C’était une vraie rencontre artistique. Et je continue encore aujourd’hui à échanger avec elle. Nous sommes sur deux techniques qui sont à la fois similaires et tout à fait opposées. Dès mon arrivée, elle m’a précisé que j’avais la possibilité d’utiliser deux ou trois couleurs – c’est assez restreint quand on est peintre ! –, mais que le travail de la matière serait en revanche mon champ d’action. Plus on allait creuser la plaque de cuivre, plus la matière apparaîtrait ensuite sur le papier. Cet aspect expérimental de la gravure a été stimulant, car il m’a appris de nouveaux gestes. »
Pour Marine Wallon, le mouvement est essentiel, il questionne la liberté. Très tôt, elle pratique la poterie et la danse, des activités artistiques qui préparent ses futurs gestes créateurs : « Dès 6 ans, j’avais déjà les mains dans la terre, avec une liberté totale dans l’application de la couleur. J’ai pratiqué aussi, pendant de longues années, la danse contemporaine, que j’ai arrêtée pour me consacrer au dessin. En danse comme en peinture, ce qui m’inspire, c’est le lâcher-prise total. Comme un danseur qui répète des heures entières pour libérer son corps et en explorer les possibilités, je peins et répète des mouvements familiers dans mon atelier jusqu’à ce que j’invente un nouveau geste, plus faible, que je ne maîtrise pas, mais qui m’invite vers un nouvel imaginaire, riche de nouvelles émotions. »
Mais à l’atelier de chalcographie, les techniques précises et les actions ordonnées de la gravure n’autorisent pas l’improvisation. « Les produits utilisés sont délicats, voire dangereux. On utilise de l’essence pour découvrir la plaque, mais aussi de l’acide : on y plonge cette dernière pour créer le creux qui retiendra l’encre. Le mouvement créateur est prudent, voire précautionneux. La grande vague, par exemple, au bas de l’estampe, je l’ai peinte d’une manière très douce, très lente. À travers la gravure, j’ai découvert que je pouvais peindre d’une autre manière. Ça a enrichi mon geste à l’atelier. »
Les paysages de Marine Wallon sont silencieux et solitaires. Si elle se plaît à parcourir la nature, c’est en ville qu’elle fixe ses paysages, dans son atelier. « Ces instants et ces décors saisissants, je les ai expérimentés, mais tout mon travail de création se fait à mon retour. Je ne voyage pas si souvent, car la peinture se venge si je pars trop longtemps ! Je me rends compte que peindre ces paysages mouvementés en ville est une frustration positive et créatrice. » Elle transforme le souvenir en matière, comme autant d’images de sa réalité.