Papier de soi, à l’encre végétale…
Depuis 2001, Bertrand Dupré investit, chaque matin, l’atelier de chalcographie de la Rmn – Grand Palais. Son métier ? Imprimeur taille-doucier et graveur. Il réalise des estampes à partir de plaques de cuivre gravées et accompagne les artistes contemporains dans leur processus de gravure pour des commandes du Louvre.
« Dès la classe de seconde, j’ai intégré l’école Estienne en option illustration, mais j’étais déjà fasciné par la gravure. Comme une petite souris, je talonnais mes amis qui suivaient cette option à Estienne. À force de me surprendre dans son cours, le professeur de gravure m’a autorisé à venir graver un petit projet à l’atelier ! » Passionné et opiniâtre, il finit par s’inscrire, en parallèle, au cours du soir de gravure de la Ville de Paris.
Sa rencontre avec Michel Archimbaud, enseignant à l’école Estienne, éditeur et dramaturge, est déterminante. « Il m’a fait visiter l’atelier Lacourière et Frélaut que je n’ai pas cessé d’explorer ensuite, jusqu’à ce qu’ils m’accueillent en contrat d’apprentissage, puis en contrat à durée indéterminée ! » En parallèle, Bertrand Dupré enseigne la technique de la gravure à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs. « Transmettre et échanger m’ont enchanté. Du coup, j’ai connu l’ancien atelier des Arts décoratifs puis le nouveau, dans le bâtiment restructuré par Philippe Starck en 2004. »
Aujourd’hui, le chef de l’atelier conduit une équipe d’imprimeurs, qui réunit Lucile Vanstaevel, Marius Tessier, Faycal Ait Amara et Leyla Peyrin. Ensemble, ils réalisent de nombreuses estampes et accompagnent, dans la technique de la gravure, des artistes contemporains, comme Éva Jospin pour la plaque Grotto, qu’elle a gravée en 2017 sur commande du Louvre. Bertrand Dupré partage avec cette artiste, qui métamorphose le carton en de merveilleuses forêts, une absolue fascination pour la beauté végétale, son silence et son énergie matricielle.
Pour lui, la gravure est :
Une matrice… Une même plaque de cuivre creusée permet des reproductions infinies et autant d’interprétations différentes d’une œuvre. Elle est génératrice, tout comme la Forêt vierge du Brésil (l’estampe d’après Charles Clarac, exposée au Louvre dans les collections du département des Arts graphiques), qui fascine tant l’imprimeur : refuge primitif, cette mère nature, exotique et foisonnante, enveloppe et embrasse les personnages qui s’y promènent.
Une invitation au voyage… Est recréé sur papier un univers à l’orée d’un monde végétal luxuriant, à l’image du décor familial dans lequel l’imprimeur a grandi : « Mon père cultivait un immense jardin magnifique, composé à l’anglaise, mêlant diverses essences, des arbustes à floraisons multiples, des reliefs et des massifs. Les moments sublimes durant mes années d’études à l’école Estienne étaient ceux où je dessinais dans les serres du Jardin des plantes. J’ai retrouvé, chez Clarac, cette expérience végétale forte qui m’a fasciné. »
Une représentation du monde, enfin, à travers le dessin… « Ce sont mes copains d’école primaire qui m’ont fait découvrir l’univers merveilleux des croquis et des bandes dessinées. J’ai senti très vite la force d’évocation du graphisme, sa capacité à retranscrire la réalité, à la recréer, à l’absorber et à la transposer. Dessiner, c’est plus que du plaisir, c’est recréer un monde, exprimer ses racines intérieures. »
Estampe Forêt vierge au bord du Rio Bonito, d’après Charles Clarac