À l’occasion du moulage de La Nuit, d’Aristide Maillol, commandé à notre atelier par la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, nous avons rencontré Alexandre Lorquin, vice-président du musée et ayant droit de l’œuvre de l’artiste.
Alexandre Lorquin nous donne rendez-vous au musée Maillol, rue de Grenelle, à Paris. Un lieu de culture, qui a vu défiler, au cours de son histoire, de nombreuses figures artistiques. Devenu l’hôtel particulier Bouchardon, cet ancien couvent des Récollets accueillit, au XIXe siècle, Alfred de Musset, qui y vécut de nombreuses années avec sa mère. Bien plus tard, Jacques et Pierre Prévert ouvrirent au rez-de-chaussée un célèbre cabaret, fréquenté notamment par Boris Vian, Francis Blanche, Yves Montand ou encore Maurice Béjart.
En 1955, Dina Vierny, muse et légataire universelle d’Aristide Maillol, y acquit un appartement, puis acheta peu à peu la totalité des bâtiments pour y fonder l’actuel musée Maillol. Inauguré par le président de la République François Mitterrand le 20 janvier 1995, il est l’aboutissement d’un travail passionné, mené des années durant, pour perpétuer et valoriser l’œuvre de l’artiste. « Ce 20 janvier est une date vraiment particulière, confie Alexandre Lorquin. À la fin de ce jour d’inauguration, qui couronne tous les efforts de Dina Vierny, ma grand-mère, je viens au monde… Et quatorze ans après cette date, jour pour jour, elle décède. »
En parcourant le musée, nous nous arrêtons devant la vitre de l’atelier reconstitué, où les grands plâtres originaux portent encore la mémoire des mains de l’artiste. « C’est, ici, une des principales présentations de l’univers du plâtre, pour rappeler que tout commençait, avec Maillol, par le plâtre ou la terre, pour aller vers le bronze, commente notre hôte. C’était un souhait de ma grand-mère de rendre visibles ces grands plâtres originaux. »
Derrière L’Air, cette figure féminine allongée en équilibre sur une fesse, se cache La Nuit, plus intime et plus secrète, représentant une femme nue, assise, le front appuyé sur ses bras repliés. Le bronze monumental est exposé au jardin des Tuileries ; la version de l’œuvre que présente le musée Maillol de Paris plus petite. « Après que votre atelier a réalisé le moulage et quelques tirages de la Femme assise sur ses talons pour le musée d’Orsay et son exposition “Aristide Maillol. La quête de l’harmonie” en 2022, nous avons convenu de la prise d’empreinte d’une nouvelle statuette de notre collection, La Nuit. Votre cheffe d’atelier, Arielle Lebrun, a réalisé d’abord un très beau moulage. Ensuite, pour reproduire fidèlement l’aspect du bronze sur le premier tirage, Julie Gilewski, votre maître patineuse, s’est installée ici, au troisième étage, sur la table de Maillol, dans la cuisine des bureaux du musée, avec ses pinceaux et ses poudres. Au bout du compte, lorsqu’on les place côte à côte, il est quasiment impossible, sans les toucher, de différencier l’original de la reproduction. Julie est particulièrement douée et la série qui suit atteint le même niveau d’excellence. Nos musées, à Paris et à Banyuls, proposeront la statuette à la vente. Elle l’est, dès à présent, dans certaines de vos boutiques, dont celle du Louvre, où elle serait déjà en rupture de stock ! »
« La Nuit est une sculpture des débuts de Maillol, vers 1902-1909, alors qu’il commence à être pleinement maître de ses moyens, poursuit Alexandre Lorquin. C’est l’époque où il rompt avec le narratif pour ne s’intéresser qu’à la forme. Il y a une anecdote assez connue rapportée par le critique Octave Mirbeau, qui avait chez lui Léda, une petite statuette réalisée un peu avant La Nuit. Auguste Rodin, la voyant, s’en saisit, la manipule dans tous les sens, et s’exclame, comme s’il reconnaissait en Maillol son héritier : “Si le mot génie, aujourd’hui, a encore un sens, c’est bien ici… Maillol a le génie de la sculpture !” Le temps devait confirmer son jugement : lorsque Rodin meurt en 1917, Maillol est le plus important sculpteur de la scène artistique européenne. »
« Le prochain moulage ? s’interroge Alexandre Lorquin. Ce pourrait être Léda, sans doute l’œuvre sculptée de Maillol que je préfère. Cette sculpture aurait pu raconter l’histoire rapportée par Ovide dans les Métamorphoses, mais Maillol a décidé d’effacer le cygne pour ne retenir que la posture de Léda, qui repousse l’animal. Il garde simplement le geste. L’histoire devient complètement subalterne dans la réalisation de l’œuvre. La figure, par le mouvement de sa main, mime l’espace dans lequel elle est contenue. »
Admirateur des sculptures épurées et sensuelles de Maillol, notre atelier aspire à mouler d’autres de ses œuvres, à l’architecture parfaite, et ainsi contribuer à perpétuer l’héritage du sculpteur.